Des étudiant·es autochtones reviennent sur leur exposition à la galerie de Dawson

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Des étudiant·es autochtones de Dawson ont célébré une année d’apprentissage rattaché aux ressources naturelles lors du vernissage de leurs œuvres et de leurs projets le 10 mai à la galerie d’art Warren G. Flowers.

Les travaux ont été réalisés pendant le cours Learning Perspectives du programme Journeys co-enseigné par Amanda Lickers et Jocelyn Parr en 2023-2024.

L'étudiant Zye Rashontiiostha Mayo explique que l'exposition avait deux objectifs : « présenter nos œuvres d'art et faire entendre nos voix ».

L'occasion d'être en contact avec sa propre culture

Zye, qui est Kanienʼkehá꞉ka du clan des Snipe de Kahnawake, a apprécié l'occasion d'être en contact avec sa propre culture avant de poursuivre son cheminement scolaire.

Zye présentait trois œuvres : du cuir de poisson, une impression et une photo. « J’ai passé une semaine à apprendre comment fabriquer du cuir de poisson, une matière très résistante. On peut en faire des pochettes, des portefeuilles et bien d’autres choses. Je n’aurais jamais pensé venir à Dawson pour apprendre à fabriquer du cuir de poisson. Je suis rentré chez moi et j’ai montré la méthode à mon cousin qui vit selon les traditions! »

Cuir de poisson

Sa photo a été prise lors d'un voyage de fin d'année avec l'École de Survie de Kahnawake dans le nord de l'État de New York. Zye l'a intitulée Looking home. Il explique que les Mohawks sont considérés comme les gardiens de la porte de l'Est. La photo a été prise en direction de l'Est, quelque part sur la route entre les chutes du Niagara et Toronto, avec des forêts en arrière-plan. Zye se réjouit que ces forêts soient encore vierges.

La fin du cours et du programme Journeys est une grande réussite pour Zye. « Je suis probablement le seul étudiant de première année de Kahnawake à être encore ici. L'année a été difficile pour les membres de ma communauté, et la vie de cégep vient avec son lot de défis. Le First Peoples’ Centre m'a vraiment aidé. C'est un endroit où l'on se sent comme chez soi. On y diffuse même une station de radio basée à Kahnawake! » L'automne prochain, Zye est inscrit dans le profil Changement social et solidarité du programme Sciences humaines.

Tapisa Tulugak, une Inuk de Puvirnituq au Nunavik (à une plus grande distance de Montréal que Halifax), est une des camarades de classe de Zye. Tapisa a présenté deux œuvres dans l'exposition intitulée Living Perspectives.

C'était la première fois qu'elle suivait un cours de dessin et de linogravure. « À ma grande surprise, je me rends compte que je suis capable de faire des croquis. »

Guérir par l'art

Tapisa estime que le cours a été salutaire, et elle aime Dawson parce qu'elle trouve que « les gens comprennent bien le peuple inuit et sont très ouverts d'esprit ».

Tapisa a présenté un poème et une linogravure dans l'exposition. Elle nous explique l'histoire de son poème : « J'ai écrit un poème en inuktitut pendant mes études au Nunavik Sivunitsavut. Il a été traduit par Jennifer Savard, une de mes enseignantes à l'Institution Kiuna, en 2019. Le peuple inuit a été victime des colonisateurs pendant trop longtemps, ce qui nous a affectés de multiples façons. Le gouvernement fédéral a causé tant de mal aux peuples autochtones canadiens, sur nos propres terres, et la vérité doit être connue. Mais nous sommes toujours debout! »

Tapisa a vraiment aimé le cours. « J’ai appris que je suis assez forte pour organiser ma propre exposition d’art et que je n’ai rien à craindre. Amanda Lickers, notre enseignante, a invité des personnalités très inspirantes, et je suis très reconnaissante pour ces merveilleuses expériences. »

Tapisa est issue d'une lignée d'artistes de renom du côté de son père. « Mon père biologique, Peter Boy Ittukallak, est un sculpteur réputé et je veux lui ressembler. Je pense que le Collège Dawson m'ouvrira des portes comme artiste. »

Des messages à travers l'art

Jade Whitebean, qui était dans la classe de l'année précédente, présentait deux œuvres dans l'exposition. Artiste Kanienʼkehá꞉ka originaire d'Akwesasne, sur la rive sud de Montréal, Jade est sur le point de terminer sa première année dans le profil Arts médiatiques interactifs du programme Arts, lettres et communication.

Les œuvres de Jade sont deux illustrations numériques réalisées à l'aide d'une tablette à dessin. Elle nous a expliqué sa démarche lors d'un entretien.

« L'illustration en noir et blanc, la plus ancienne des deux, s'intitule Silenced. C'est une œuvre qui se veut provocante, qui cherche avant tout à passer un message. La deuxième illustration est un autoportrait que j'ai intitulé Red Echoes. C'est une œuvre qui est beaucoup plus subtile dans sa signification, mais qui a quand même pour objectif d'attirer l'attention. »

Red Echoes par Jade Whitebean

« Red Echoes, mon œuvre la plus récente, n’est pas qu’un simple autoportrait. Je voulais illustrer les traumatismes générationnels, qui sont malheureusement assez fréquents dans les familles autochtones, y compris dans la mienne. J’ai choisi un rouge vif en arrière-plan pour faire des liens : le rouge, c’est le sang, et le sang, c’est votre famille, votre ligne de vie. Votre famille laisse une marque sur vous, et vous faites partie de l’écho qui résonne à travers les générations. C'est ce qui m’a amenée à choisir ce titre. »

« Les mots en arrière-plan font partie d'un paragraphe que j'ai écrit précisément pour cette œuvre. En regardant de plus près, on peut distinguer certains mots du texte, déchiffrer les grandes lignes de l'histoire et comprendre que l'illustration dépeint un traumatisme. Le texte est derrière moi, tout comme mon passé, mais il est bien présent dans ma vie. Je suis en quelque sorte enfermée dans cette boîte dans laquelle je suis née... Il y a encore beaucoup à voir et à comprendre. »

« La plus ancienne des deux oeuvres, <i>Silenced</i>, montre une femme qui se fait coudre la bouche. C'est une œuvre que j'ai réalisée dans le cadre d'un projet de Journeys. L'idée était de dénoncer le manque d'intérêt envers les femmes autochtones assassinées et disparues. Je me suis inspirée du symbole de la main rouge sur la bouche et j'ai fait quelque chose de similaire en cousant la bouche pour montrer que les voix sont étouffées. Sur le côté, il y a aussi une affiche de personne disparue qui est recouverte par d'autres dépliants. Je voulais exprimer que ce sont toujours les mêmes sujets qui retiennent l'attention des médias, alors que d'autres enjeux passent complètement sous le radar. »

Vague d'amour envers le cours Learning Perspectives

Jade nous indique qu'Amanda et Jocelyn ont fait confiance aux jeunes dans le cours Learning Perspectives : « Suivre des cours dans une petite classe où on peut vraiment connaître les profs et nos camarades était génial. Dans ce cours comme dans le reste du programme Journeys, le but n'est pas d'attendre bêtement que le cours finisse. On a envie d'apprendre et de nouer des liens. Ça me manque vraiment. »

Le cours Learning Perspectives s'inscrit dans un environnement d'apprentissage collaboratif et un contexte pédagogique décolonisé afin d'explorer le mode d'acquisition du savoir et d'apprentissage chez les Autochtones, comme les cercles de discussion, les ateliers de perlage et les systèmes de gouvernance propres aux communautés.

« Pour moi, l’exposition illustrait de façon puissante comment s’exprime un processus créatif exempt de suppositions colonialistes » explique Jocelyn Parr, qui donne ce cours avec Amanda Lickers.

« Dans ce cours, le mode d'apprentissage est rattaché aux ressources naturelles et axé sur les forces de chaque personne. On encourage donc les jeunes à mettre de l'avant leurs talents et leurs habiletés uniques. Au collégial, l'apprentissage est défini en grande partie par des valeurs coloniales qui s'alignent sur le capitalisme. Un apprentissage qu'on considère comme réussi s'inscrit donc dans un environnement concurrentiel, individualiste et stressant, où les normes sont établies par une figure d'autorité qui a du pouvoir par rapport aux autres. Learning Perspectives était à l'opposé de cette définition. La merveilleuse Amanda et moi, nous avons permis aux étudiant·es de se sentir épanoui·es et puissant·es dans un environnement collaboratif et créatif qui a mené à l'exposition Living Perspectives ».

Les trois jeunes ont exprimé toute leur gratitude envers le cours et leurs profs.

Toutes les photos dans cet article ont été fournies par Jonathan Givon.



Dernière modification : 23 mai 2024