La production alimentaire industrialisée et les chaînes d’approvisionnement alimentaire internationales augmentent considérablement l’insécurité alimentaire, aggravent la dégradation de l’environnement et conduisent à l’adoption de moyens de subsistance inadéquats, en particulier chez les femmes et les jeunes. Les systèmes alimentaires peuvent servir de leviers polyvalents pour opérer une transformation. Les approches à petite échelle, autochtones et traditionnelles donnent des pistes de solution pour provoquer le changement.

La semaine dernière, un groupe de scientifiques en alimentation du Kenya, du Mexique, du Brésil, de l’Australie et d’autres régions du Canada se sont réunis pour la première fois au Collège Dawson dans le cadre d’un nouveau projet international d’envergure visant à découvrir les origines des systèmes alimentaires régionaux durables, à décrire et à définir ces derniers. Le projet s’intitule FLOW (Food, Learning and Growing) Partnership: Seeding Sustainability Transformation.

Alison Blay-Palmer, professeure à l’Université Wilfrid-Laurier et titulaire de laChaire UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture) sur les études alimentaires, la biodiversité et la durabilité, est la chercheuse principale de ce projet sur sept ans. Financée par une subvention de partenariat du Conseil de recherches en sciences humaines, l’équipe comprend 35 organisations partenaires réparties sur quatre continents. La recherche réalisée dans le cadre du projet FLOW vise à répertorier et à suivre les pratiques particulières qui favorisent la durabilité à l’échelle régionale, puis à les diffuser pour influencer les décisions politiques importantes à long terme partout dans le monde.

« C’est la première étude à comparer les systèmes alimentaires régionaux et durables sur une longue période, explique Mme Blay-Palmer. Dès le début, nous avons sollicité des responsables des politiques dans chaque pays en leur demandant de nous indiquer les lacunes observées et le type de mesures nécessaires pour instaurer des changements. Au Brésil, par exemple, nos partenaires amènent carrément ces responsables dans les champs, et leur montrent ce à quoi peut ressembler un système alimentaire agroécologique. Dans certains cas, des lois ont ensuite été modifiées pour favoriser un système alimentaire mieux adapté à sa région. »

Anna-Liisa Aunio, du département de sociologie du Collège, travaille avec Mme Blay-Palmer en tant que codirectrice du projet et responsable de la région de Montréal. Elle a invité des chercheuses et chercheurs en alimentation à visiter certains projets alimentaires particulièrement intéressants dans le district Peter-McGill au centre-ville de Montréal, dans Verdun et au Collège Dawson. Les participantes et participants ont parlé de leurs recherches sur l’alimentation locale lors d’une conférence qui se déroulait sur trois jours, du 14 au 17 mai.

Nous avons rencontré quelques personnes qui y assistaient pour en savoir plus sur leur expérience de la semaine dernière. Irena Knezevic, de l’Université Carleton à Ottawa, et Maureen Murphy, de l’Université de Melbourne en Australie, ont accepté de répondre à nos questions.

Quels projets ici à Montréal ou au Collège Dawson vous ont-ils inspirés? Pouvez-vous nous dire pourquoi et si vous pensez en parler à vos partenaires communautaires?

Mme Knezevic : Toutes les organisations et initiatives en alimentation à Montréal sont inspirantes! Du Café de la Maison ronde au Grand Potager, de nombreuses personnes font des pieds et des mains pour rendre l’alimentation plus équitable et durable dans la ville et autour de celle-ci. Grâce aux personnes et aux organisations qui se mobilisent autour de cette cause, comme notre collègue Anna-Liisa Aunio, et au Conseil du système alimentaire montréalais, les efforts communautaires s’immiscent dans les discussions politiques. Si la ville tient compte de leurs conseils en faisant preuve de discernement, Montréal sera un modèle à suivre pour de nombreuses autres villes.

L’approche du Collège Dawson par rapport au développement durable est aussi inspirante. J’aimerais bien que le même genre d’initiatives voient le jour dans mon établissement. J’en parlerai assurément à mon retour!

Mme Murphy : LeCafé de la Maison ronde est un projet impressionnant. À Melbourne, on recense des entreprises à vocation sociale semblables, où les jeunes Autochtones suivent une formation rémunérée qui les prépare à l’industrie du tourisme d’accueil. L’approche préconisée au Café de la Maison ronde est intéressante, car elle est en deux temps. Dans un premier temps, les personnes formées effectuent un travail rémunéré pendant une courte période. Dans un deuxième temps, on assure leur transition vers le marché du travail. Nous pourrons parler de cette étude de cas à nos partenaires locaux à notre retour en Australie.

Qu’avez-vous retenu de la conférence? Qu’est-ce qui était le plus intéressant, pertinent ou utile pour vous?

Mme Knezevic : J’ai trouvé intéressant de savoir comment les communautés d’un peu partout dans le monde gèrent les grands enjeux en lien avec l’alimentation, notamment le changement climatique. Le recours aux connaissances traditionnelles et locales revient un peu partout. Certains gouvernements ont d’ailleurs fait un constat semblable en ce qui concerne la gestion forestière et se tournent vers des pratiques autochtones pour lutter contre les feux de forêt.

Mme Murphy : Ce que j’ai préféré a été de tisser des liens avec des partenaires canadiens et internationaux, et d’en savoir plus sur les démarches dans leur région dans le cadre du projet FLOW. J’ai été surprise de constater que les mêmes enjeux et défis revenaient dans toutes les régions, au nord comme au sud. On peut donc déduire qu’il sera possible de circonscrire un ensemble d’indicateurs communs pour mesurer des résultats à long terme dans toutes les régions, auxquels on pourra ajouter des indicateurs exclusifs à certains contextes et à certaines régions. Ce travail autour de la création d’indicateurs est susceptible de renforcer la collaboration internationale.

En quelques mots, pourquoi ce projet est-il important selon vous, et quels résultats espérez-vous obtenir, non seulement au terme du projet, mais pour la communauté de pratique en général?

Mme Knezevic : Les pratiques dans le secteur alimentaire sont différentes d’un endroit à un autre, mais les enjeux politiques et environnementaux sont similaires un peu partout. J’espère que ce projet permettra aux partenaires, qu’il s’agisse d’initiatives communautaires ou de scientifiques, d’apprendre les uns des autres. Ensemble, nous trouverons peut-être le moyen de développer des pratiques durables et de les multiplier afin de mettre en place un meilleur système alimentaire pour toutes et tous.

Mme Murphy : La sécurité alimentaire mondiale est impossible sans des systèmes alimentaires sains, durables et équitables. Les risques comme les stress environnementaux, la perte de biodiversité, la prolifération urbaine au détriment des surfaces productives, les chocs et les guerres climatiques entraînent une hausse des prix des denrées alimentaires, la faim dans le monde et l’insécurité alimentaire. Le projet FLOW et les recherches menées dans toutes les régions concernées par celui-ci réunissent des partenaires à travers le monde qui travaillent ensemble à consolider une vision commune des systèmes alimentaires régionaux résilients. Je souhaite que ce projet et cette communauté de pratique nous aident à concrétiser cette vision et à mettre en place un système alimentaire plus juste, équitable et durable.

Anna-Liisa Aunio (département de sociologie) et Anne Marie Aubert (partenaire alimentaire communautaire, Conseil SAM), lors de leur présentation sur Montréal et ses initiatives alimentaires, le 14 mai, dans le cadre de la Conférence sur le projet FLOW, au Co-lab du Collège.

Remarque

Sabrina Marandola a reçu Anna-Liisa Aunio en entrevue à son émission de radio Let’s Go, diffusée sur CBC le 15 mai 2024. Cliquez ici pour écouter le segment « International researchers gather at Dawson to study local food systems » (CBC Radio Montreal) : https://www.cbc.ca/listen/live-radio/1-383/clip/16067980 https://www.cbc.ca/listen/live-radio/1-383/clip/16067980.



Dernière modification : 23 mai 2024