Entrevue avec l'artiste multidisciplinaire Craig Commanda
Craig Commanda est un artiste multidisciplinaire de la nation algonquine de Kitigan Zibi. Dans son exposition WÌDJIDEYAMAWOWIN / INTERCONNEXION en cours à la galerie d'art Warren G. Flowers jusqu'au 16 mars, il propose des imprimés, des vidéos et des sculptures perlées complexes. Deux membres du programme d'arts visuels, Katya Kieran et Lisseth Llorente Ruiz, ont récemment eu la chance de s'entretenir avec l'artiste pour lui poser des questions sur ses pratiques artistiques et sur l'exposition en cours.
K. K. : Comment avez-vous appris l'art du perlage?
C.C. : Le chemin a été long pour en arriver où j'en suis. J'ai expérimenté le perlage pour la première fois à la mi-parcours de mes études cinématographiques à Concordia, pendant la pandémie, lorsque j'ai découvert le défi #beadthisinyourstyle (perles à ta façon) sur Instagram. Je me suis pratiqué, puis je me suis inscrit à des ateliers de perlage animés par un collègue artiste autochtone nommé Nico Williams, qui m'a enseigné des techniques telles que le point peyote plat et le triangle peyote plat. J'ai utilisé une variante du point peyote, le Cellini, pour les pièces de cette exposition, car cette technique permet d'obtenir des formes plus complexes. La pratique du perlage m'a gardé sain d'esprit pendant la pandémie, alors que je recherchais des pièces qui m'intéressaient pour apprendre la façon dont elles avaient été fabriquées. Cependant, j'ai toujours l'impression de n'avoir qu'effleuré cet art.
K. K. : Utilisez-vous une méthode spéciale pour créer des pièces perlées? Adoptez-vous un état d'esprit particulier pour être en symbiose avec la nature ou la culture?
C. C. : Beaucoup de mes réalisations comportent des éléments naturels. Pour mon œuvre Undulation, j'ai voulu jouer avec la forme changeante des vagues et représenter les différentes couleurs de la lumière réfractée par l'eau. La pièce Fall Leafest enroulée comme une feuille en automne, et Dark Heart ressemble au cœur d'un petit animal. Dans mes vidéos, je pars d'une idée ou d'une intention. Cependant, je n'ai pas toujours une représentation claire en tête lorsque je commence un projet. Je me laisse aller au perlage et je vais où l'art me mène. Ce que l'œuvre devient est ce qu'elle doit être à ce moment-là.
K. K. : L'utilisation d'os dans vos sculptures revêt-elle une importance particulière? Qu'est-ce que cela symbolise pour vous?
C. C. : Avant la colonisation, de nombreux peuples autochtones utilisaient des matériaux naturels tels que l'écorce de bouleau, les os et les piquants de porc-épic non seulement pour commercer, mais aussi pour s'exprimer. L'utilisation de ces matériaux naturels m'aide à me rapprocher de mon héritage culturel, et je cherche à intégrer cet état d'esprit dans un cadre contemporain.
K. K. : Pourriez-vous décrire comment votre expérience en matière de compréhension et d'appropriation de votre propre culture a inspiré les œuvres de cette exposition?
C. C. : L'art a joué un rôle très important pour me rapprocher de ma culture, et l'apprentissage des pratiques traditionnelles en est un aspect très important pour moi. L'été dernier, j'ai appris les techniques de mordillage d'écorce de bouleau. Dans cette exposition, les œuvres utilisant cette technique sont présentées sous forme de tirages photographiques dans des vitrines, mais je souhaite aller plus loin dans cette pratique à l'avenir. De même, l'apprentissage de la fabrication du cuir à partir de la peau d'un animal m'a permis de comprendre l'importance de cette activité pour ma culture, tant pour la survie que pour l'aspect monétaire. Ces pratiques traditionnelles influencent mon art, car je choisis de travailler avec des visuels naturels, comme la couleur du ciel, des rochers ou de la lumière du soleil dans mon perlage, ainsi que des matières naturelles comme des arêtes de grand brochet.
L. L. R. : Pouvez-vous nous expliquer le processus de réalisation des vidéos? Avez-vous filmé toutes les séquences vous-même? Comment la collaboration a-t-elle été prise en compte dans ces réalisations?
C. C. : Pendant une grande partie de ma carrière cinématographique, j'ai travaillé avec une organisation des Premières Nations appelée Wapikoni Mobile. Cette organisation aide les jeunes Autochtones à se former et à s'exercer à tous les aspects de la production cinématographique et musicale : la préproduction (soit la conceptualisation), la production (soit le tournage) et la postproduction (soit l'édition du contenu).
Les films et les vidéos ont été une forme de thérapie pour moi. Ils m'ont permis de traverser un grave épisode de dépression. La création du film The Weight (2014) m'a aidé à clarifier ce que j'étais et où j'en étais dans la vie. Je ne serais pas ici, en entrevue avec vous, si je n'avais pas fait ce film.
En ce qui concerne le processus de production, je me charge entièrement de trouver des idées et de travailler avec l'équipe pour planifier la production.
La vidéo Love Song (avec Marjan Verstappen, 2020), réalisée en collaboration avec le collectif Bawaadan, constitue une exception à ce processus. Pour Call and Response (2014), j'ai réalisé la conceptualisation puis composé et interprété la bande sonore. J'ai reçu l'aide de l'équipe du Wapikoni pour le tournage, ainsi que de quelques jeunes de Kitigan Zibi.
Photo de Sylvia Trotter Ewens
L. L. R. : Pour la vidéo axée sur la musique, comment avez-vous réalisé que la musique était porteuse de sens plutôt qu'un simple soutien à la vidéo?
C. C. : L'utilisation de la musique est un des éléments narratifs. Elle permet d'obtenir un résultat plus unifié, plutôt qu'une expression réfractée à travers les œuvres d'art. Je voulais évoquer une émotion grâce à une exposition multimédia. Je voulais relier les couleurs des œuvres perlées à la musique et au cinéma. La guitare m'aide également à exprimer les émotions que je ressens sur le moment.
L. L. R. : Quand vous faites de l'art, quelle est la part du désir personnel de créer et quelle est celle du désir de communiquer un message au public?
C. C. : C'est un mélange des deux, mais pas en même temps. La plupart du temps, le sens vient plus tard et le besoin de créer vient en premier.
Toutefois, je ne commence jamais un projet vidéo si je n'ai pas quelque chose à dire, car cela demande beaucoup de travail et d'attention. Je ne commence pas ce type de projet tant que sa raison d'être n'est pas claire pour moi.
L. L. R. : Vous travaillez avec une grande variété de supports. Qu'est-ce qui vous fait choisir un média plutôt qu'un autre?
C. C. : Tout dépend de ce que je ressens à ce moment-là. Personnellement, c'est ma curiosité qui me pousse à expérimenter les différents supports, et ce processus me donne des idées sur la manière d'exprimer un message. Pour mon premier film, je voulais que les personnes du public comprennent qu'elles ne sont pas seules. C'était un signe de solidarité envers celles et ceux aux prises avec des problèmes de santé mentale et les survivant·es. C'était une pièce thérapeutique.
K. K. : Pensez-vous que l'état constant d'évolution et de « changement de peau comme un serpent », tel qu'il est mentionné dans The Weight (film), s'arrête dans la vie?
C. C. : Non, je crois que ce type de changement est constant. Même d'un simple point de vue physique, les cellules de notre corps se régénèrent toutes les sept ans. Plus nous ouvrons notre esprit aux nouvelles expériences et aux changements, plus nous pouvons nous débarrasser de notre peau et laisser derrière nous des modes de pensée ou de croyance dépassés. Cela nous permet d'apprendre à nous connaître en cours de route et de trouver de nouvelles façons d'exprimer nos émotions. Personnellement, j'apprends à me connaître et à connaître mes ancêtres à travers les films et les perles. Je suis issue d'une longue lignée de personnes qui vivaient dans la forêt et fabriquaient des canoës à partir de rien. Grâce à cette histoire et à ces connaissances, je veux intégrer de nouvelles idées et voir les choses d'une nouvelle manière. Au fur et à mesure que j'apprends et que je crée en pensant de cette façon, je veux que mon travail contribue à aider d'autres personnes à se débarrasser de leur propre peau.
L. L. R. : « Nous sommes tout et nous ne sommes rien. » Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette dualité et sur la façon dont vous l'avez perçue dans le processus d'acceptation de votre propre existence et de reconnaissance de vos racines culturelles?
C. C. : « Nous sommes tout » renvoie à l'interconnexion que nous avons avec tout, comme le considèrent de nombreuses Premières Nations. Nous faisons partie du monde naturel dans lequel existe un cycle naturel, et lorsque nous mourons, nous nourrissons le sol. En même temps, nous sommes si petit·es dans le grand ordre des choses que « nous ne sommes rien ». La vie et l'univers sont si grands que notre insignifiance nous encourage peut-être aussi à nous efforcer de vivre la plus belle vie possible.
Photo de Sylvia Trotter Ewens