ENTRETIEN ENTRE DAVID B. STEWART ET DES ÉTUDIANTES SUR SON TRAVAIL EXPOSÉ À LA GALERIE
David B. Stewart est un artiste visuel né à Saskatoon. Il a grandi à Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, et vit maintenant à Montréal. Son exposition actuelle, Cuts from PoCo, a été présentée à la Warren G. Flowers Art Gallery du 7 septembre au 14 octobre. Un mardi soir, deux étudiantes en deuxième année en arts visuels, Katerina Kieran et Lisseth Llorente Ruiz, ont eu l’occasion de s’entretenir avec David Stewart au sujet de sa vie, de ses œuvres et de son processus créatif.
KK : Votre désir de faire de l’art est-il né d’une expérience personnelle précise?
Quand avez-vous su que c’était ce que vous vouliez faire?
DS : Pour moi, ça s’est fait par étapes. Enfant, j’ai toujours aimé dessiner parce que ça m’aidait à me détendre. J’ai reçu beaucoup d’éloges et de soutien, mais c’est un concept un peu bizarre de penser à gagner sa vie comme artiste quand on est si jeune. Plus tard, vers la huitième année, j’ai vaguement pensé à devenir un artiste. Je me souviens d’avoir ouvert un livre de Salvador Dali et d’avoir été stupéfait par les peintures. Je ne comprenais pas comment la peinture pouvait créer des œuvres aussi impressionnantes que les siennes. J’étais époustouflé! Vers l’âge de 13 ou 14 ans, ce désir de poursuivre les arts s’est solidifié. Mais ce n’est qu’à l’âge de 16 ans, lorsque j’ai eu la chance de voyager et de découvrir les canons européens de l’art, que j’ai commencé à y penser sérieusement. C’est à cette époque, à Noël 2003, que j’ai reçu mon premier ensemble de peintures à l’huile. Je me souviens encore de la sensation ressentie quand j’ai enduit mon pinceau de peinture à l’huile noire et que je l’ai fait glisser sur la toile pour la première fois. Bien sûr, nos récits se créent à mesure qu’on avance dans la vie. Pour l’instant, c’est le mien.
LLR : Pouvez-vous nous parler de vos études, et plus particulièrement de
votre expérience à l’Université Concordia?
DS : J’ai commencé à m’intéresser à Concordia en raison du Concours de peintures canadiennes RBC pour les jeunes artistes émergent·es. J’ai remarqué que parmi les lauréat·es, beaucoup avaient étudié à l’Université Concordia. J’ai pensé que cette université me conviendrait bien, car elle s’inspirait d’influences européennes et était située à Montréal. Cependant, comme je me suis inscrit à la maîtrise en 2019, mon expérience a été unique et pas de tout repos. Pour cette raison, je ne crois pas qu’elle puisse servir de référence. Ironiquement, ces œuvres d’art n’ont vu le jour que parce que je suis revenu en Colombie-Britannique pendant la pandémie, alors que tous les cours se déroulaient en ligne. Je dirais cependant que l’une des forces de Concordia est d’offrir un vaste éventail diversifié de profs et d’approches artistiques, de sorte qu’il y en a pour tous les goûts. Plus il y a de points de vue, mieux c’est; essayez autant d’approches différentes que possible. Cela dit, si un étudiant est à la recherche de conseils, ce n’est pas forcément là qu’il en obtiendra. Les programmes d’art au niveau collégial sont axés davantage sur la technique, tandis qu’au niveau universitaire, l’accent est mis sur les aspects conceptuels de la création artistique.
KK : Y a-t-il des artistes ou des mouvements artistiques qui vous inspirent?
D.S : Dali a été mon point de départ. Il est probablement le premier amour de
beaucoup d’artistes, mais les Intimistes de la fin des années 1890, avec
des peintres comme Bonnard et des contemporain·es de Matisse, ont eu une
influence importante sur mon travail. Je m’intéresse davantage au contenu d’une
peinture qu’au mariage des couleurs. J’aime beaucoup les toiles d’Andrew
Cranston et de Peter Doig, imprégnées de l’influence du postimpressionnisme.
Eric Fischl a également eu une grande influence sur moi. Il a été l’un des
premiers peintres à explorer les espaces et les scènes de la banlieue. Ce sont
quelques-unes des influences qui me viennent à l’esprit, mais tout cela finit
par ressembler à une grande soupe, où l’on mélange les influences et les idées.
On y met tout ce qui nous plaît, mais sans oublier de rester près des
essentiels.
KK :
Que considérez-vous comme une peinture «finie»? Comment décidez-vous qu’une
œuvre est terminée?
D.S : Honnêtement, ce sont souvent les délais qui nous aident à terminer une
œuvre! J’ai une règle: une fois la peinture photographiée, elle est terminée.
Or, j’ai enfreint cette règle à plusieurs reprises par le passé. Parfois, il
faut laisser aussi le tableau dans un coin de l’atelier et y revenir plus tard
pour y apposer la touche finale. Une peinture doit être accrochée au mur: le
temps nous dira si elle fonctionne ou pas. Parfois, j’en fais trop et lorsque
je regarde les photos de la version antérieure, je me dis que je n’aurais pas
dû y retoucher. Souvent, il faut faire confiance au processus de peinture.
LLR :Quelle proportion vient d’une intention claire par rapport au
laisser-aller dans vos œuvres? En fonction de cela, de combien de temps assez-vous
besoin pour faire votre œuvre?
D.S : C’est assez rare, mais pour Tower Shadow, j’avais un plan simple
à suivre. Avec la plupart des autres peintures, c’est plutôt un genre de
combat. Red Jacket compte une dizaine de peintures parce que je n’ai pas
cessé d’en ajouter et de les retravailler. C’est comme un jeu, comme si la
peinture elle-même avait une personnalité. On dirait une conversation avec le
matériau. Je fais un trait et je réagis à ce qui se passe. Ça peut donner un
sentiment de puissance, presque le sentiment d’être un dieu. Puis le lendemain,
je regarde le même tableau que je trouvais pourtant parfait et je me dis «c’est
bon pour la poubelle». Parfois, seule une partie du tableau fonctionne et je
dois recommencer tout le reste. Parfois je dois la changer de sens ou tout
simplement recommencer. La peinture est à la fois une affaire d’instinct et de
planification. Les œuvres de Cuts from PoCo ont toutes été réalisées à
partir de photographies, mais souvent elles ne fonctionnaient qu’à moitié en
termes de composition ou de couleur. Je devais donc modifier le reste. Dans les
premières étapes d’une peinture, je bâcle souvent mon travail. Je laisse de
l’espace aux erreurs, car celles-ci me permettent d’explorer. Il m’arrive même
de travailler à partir de photographies floues ou peu claires. Il est important
de ne pas avoir peur des erreurs; elles peuvent mener l’œuvre exactement là où
elle doit être.
KK :
Comment choisissez-vous votre palette de couleurs pour chaque tableau?
D.S : La personne avec qui je vivais en colocation avait souvent l’habitude
de dire que je faisais des peintures «en sauce brune», et je détestais ça. Mais
il est vrai que ma palette a tendance à aller vers les tons de brun. J’essaie
toujours de faire quelque chose d’inhabituel ou d’essayer de nouvelles couleurs
pour éviter cet effet. Ça m’inquiète, car je ne veux pas avoir de formule pour
créer mes œuvres. J’ai récemment acheté un tube de peinture violet cobalt et j’essaie
de trouver une façon de la travailler. Parfois, je peux utiliser les belles
couleurs de l’image source et parfois, c’est une question d’intuition. La
première couche influence toujours le reste de la toile. Il est donc important
de bien choisir ses couleurs de base. Les couleurs complémentaires se marient
bien avec les couleurs de base une fois qu’elles sont superposées. J’essaie habituellement
de ne pas tomber dans des formules rigides, même si c’est difficile. Les
peintures sont comme les épices en cuisine. Chaque épice se comporte
différemment: certaines peuvent être utilisées en grande quantité et d’autres pas.
Il est important de toujours explorer les médiums et les couleurs, car travailler
avec une nouvelle couleur peut changer votre façon de faire.
LLR : Préférez-vous l’application de peintures épaisses ou fines? Nous avons
remarqué que certaines œuvres ont l’air lavées à l’eau avec plusieurs couches
fines tandis que d’autres ont l’air de comporter des couches épaisses, et qu’un
mélange des deux est utilisé dans Deboville Slough.
D.S : Tout dépend de l’endroit d’où provient la lumière dans le tableau. Par
exemple, dans mon tableau avec le policier, l’effet luminescent vient de
l’utilisation de la couleur qui crée la lumière comme fond et de la peinture
par-dessus. Il est également possible d’utiliser des ombres fines et des
sources de lumière épaisses, mais je préfère procéder dans l’autre sens. La
peinture peut créer de la luminosité grâce aux couches de base, aux couches
épaisses et fines et aux sous-couches, mais honnêtement, je fais mes choix en
fonction de la peinture que je peux acheter.
KK :
Comment décidez-vous de la façon de travailler avec certaines parties de votre
œuvre, en termes de manipulation de certaines parties, de détails ou d’absence
intentionnelle de détails? Je pense par exemple aux couches de peinture
grattées pour révéler ce qui se trouve en dessous dans Night Swimming.
D.S : Si un étudiant veut vraiment se lancer dans la peinture, l’une des
compétences de base est la création de la surface (toile, gesso, etc.) C’est la
surface qui est à base de tout. Ceux qui maîtrisent cet aspect ont une longueur
d’avance. Il est nécessaire de gratter la peinture si elle ne fonctionne pas. Night
Swimming ne fonctionnait pas selon Susan Scott, une enseignante et mentore
qui l’a qualifiée de mauvaise peinture. Dans ce genre de situation, je prends
un couteau à palette et je gratte la surface. Jackson Slattery m’a également
influencé. Il a remarqué que je dépensais beaucoup d’énergie à ajouter des
éléments dans mes peintures et m’a suggéré de me concentrer davantage sur la
surface. Lorsque vous voyez des empâtements dans mon travail, il y a fort à
parier que je viens de recevoir une bourse ou quelque chose du genre. C’est que
la peinture de bonne qualité coûte cher! En fin de compte, c’est l’œuvre qui
vous dira ce dont elle a besoin.
LLR : Intégrez-vous délibérément des symboles dans vos œuvres? Par exemple, il
semble y avoir une forme circulaire distincte dans Night Swimming et Harrison
Lake Swimmers.
D.S : Parfois oui, parfois non. Mes œuvres passées étaient souvent remplies d’objets et de symboles, et j’ai du mal à les regarder aujourd’hui. Dans mes nouvelles peintures, il y a un lien étrange avec le christianisme ou la spiritualité. Par exemple, j’ai peint récemment un proche en train de flotter dans une piscine et ça évoque l’image de Jésus sur la croix. Donc oui, il y a un lien avec les canons européens de la peinture; je cite parfois des tropes de l’histoire de l’art. Comme dans certaines œuvres de Caravage, je pense que certaines des meilleures œuvres représentent les moments juste avant ou juste après un événement. Dans cet angle, il y a un lien entre l’art et le cinéma, dans la façon dont l’histoire est racontée. Dans ses peintures, il y a également un lien entre le sacré et le vernaculaire. J’explore de ce côté dans mes toiles en représentant une personne spécifique de mon passé, dans un contexte qui situe le tableau pour le spectateur.
LLR : Comment et quand avez-vous développé votre style ou choisi votre médium
préféré?
D.S : Je ne pense pas en termes de style, car c’est une vision très limitée
de l’art. Les artistes parlent souvent de leur «pratique», ce que j’utilise
parfois pour décrire mon travail (à contrecœur). La peinture n’est pas un
métier à part entière, ni simplement une autre discipline académique (même si
les universités prétendent le contraire); elle est un peu désordonnée et
difficile à catégoriser. On explore des techniques et des matériaux comme on
nous l’a appris, mais parfois, on fait des découvertes de façon accidentelle.
Dans l’action, le processus suit son cours de lui-même. C’est comme quand on
marche: on le fait tous de la même façon, mais nos traces sont différentes. Il
s’agit davantage de découverte de soi et d’expérimentation que de style. On ne
cherche pas de réponse, mais il faut se poser les bonnes questions pour savoir ce
que l’on veut explorer. Cette exposition porte sur mon passé. J’ai aussi des œuvres
sur Montréal, d’autres sur un voyage avec un proche. Je suis encore en train de
réfléchir aux questions que je dois me poser pour qu’elles soient plus précises.
J’espère que dans 20 ans, j’aurai encore l’esprit aventurier. J’espère ne
jamais avoir de style!