Entrevue avec Cassie Paine
Cassie Paine est une artiste dont la pratique comprend la sculpture, l'installation et la gravure. Son œuvre traduit le caractère autoritaire des outils et de l'infrastructure dans notre société. Partagée entre Windsor, en Ontario, et Montréal, elle lève le voile sur la précarité économique des villes post-industrielles. Elle explore ainsi les stratégies de planification urbaine, les systèmes mis en place pour réguler la circulation automobile et piétonne, ainsi que la démarcation entre lieux publics et privés.
Dans le cadre de son exposition à la galerie d'art Warren G. Flowers, Cassie Paine a animé quelques causeries, dont l'une a eu lieu le 19 avril avec les étudiant·es de deuxième année en arts visuels. À cette occasion, Mme Paine a parlé de sa pratique et de son processus, ainsi que de l'exposition Pedestrian Values qui a fermé ses portes le 4 mai. Après sa présentation, elle a répondu aux questions des étudiant·es.
Q : Dans son ensemble, l'exposition se veut-elle une critique du capitalisme ou un moyen d'asseoir sa présence?
C. P. : C'est bel et bien une critique. La référence au Monopoly, associée aux matériaux de construction, souligne la mainmise des capitaux sur les espaces que nous occupons. Un cône de circulation, œuvre intitulée Magie, rend hommage à Elizabeth Magie, inventrice du Landlord's Game, un jeu de société anticapitaliste conçu en 1904 pour éveiller les esprits aux inégalités de revenus.
Q : En remontant à votre enfance, qu'est-ce qui vous a amenée à porter un regard si critique sur le capitalisme? Quel a été pour vous le moment déclencheur?
C. P. : Là où j'ai grandi, dans la ville frontalière de Windsor, en Ontario, les conversations sur la précarité économique des villes post-industrielles étaient légion. Toute jeune, j'ai commencé à observer les effets de la récession de 2008 et les efforts déployés pour tenter de « revitaliser » la ville.
Q : Je suis sensible à l'intégration d'objets trouvés dans vos œuvres. Quand avez-vous commencé à observer l'importance de ces objets?
C. P. : Windsor est une ville axée sur l'automobile. Ce n'est que lorsque j'ai quitté ma ville natale pour m'installer à Toronto que j'ai commencé à remettre en question l'environnement bâti. Je me suis mise à remarquer le caractère singulièrement impératif de l'infrastructure dans l'espace public, en particulier la signalisation.
Q : Dans votre exposition, pourquoi avoir placé un cône derrière un grillage?
C. P. : Je joue avec la transparence du grillage. Ce type de grillage sert à dissimuler les chantiers de construction aux regards indiscrets. Ils marquent une frontière claire entre l'espace public et l'espace privé. J'ai toujours été tentée de regarder à travers le grillage pour voir ce qui se passe en coulisses. Le cône est surtout là pour éveiller la curiosité et inciter le spectateur à contourner le grillage et à voir le reste de l'exposition sous un nouvel angle.
Q : Avez-vous déjà visité un endroit du monde où l'urbanisme est différent ou inexistant? Avez-vous été inspirée ou surprise?
C. P. : J'ai toujours vécu en ville (Windsor, Toronto et Montréal). Le fait d'être témoin des changements concrets apportés aux milieux urbains dans lesquels je vivais a attisé ma réflexion sur les stratégies de planification urbaine et les réseaux urbains. L'été dernier, j'ai fait un voyage en Gaspésie. C'était une expérience extraordinaire et quelque peu étrange de visiter des régions où il n'y a que des chemins de terre, presque pas de signalisation et peu d'infrastructures urbaines.
La relation entre la nature et l'industrie est souvent présentée comme étant antagoniste, mais je pense qu'elles sont souvent plus imbriquées qu'on le pense. C'est un sujet que je souhaite continuer à étudier et à explorer dans mon travail.
Q : J'aimerais connaître votre technique, en particulier celle qui ressemble à de la gravure sur le panneau d'interdiction de stationner et les motifs imprimés sur les cônes orange. Comment avez-vous créé ces œuvres?
C. P. : Le panneau de stationnement est découpé à l'aide d'outils de gravure en relief, en particulier un outil à linogravure Speedball et un couteau X-Acto. Comme le panneau est assez vieux, le matériau est plutôt fragile, mais aussi plus facile à sculpter.
Pour le cône, j'ai appliqué un matériau en vinyle qui a d'abord été conçu par ordinateur, puis découpé. J'essaie souvent de travailler avec des matériaux présents dans l'objet original ou avec des méthodes de production qui se rapportent à l'autorité de l'objet.
Q : Parmi vos œuvres, quelle est celle dont la création vous a le plus interpellée? Quelle a été la plus amusante à créer?
C. P. : Il est difficile de répondre à cette question. J'aime vraiment travailler le métal, je trouve que c'est particulièrement valorisant. J'aime la fonte du bronze en raison de la collaboration et du travail d'équipe requis tout au long du processus. L'excavatrice est probablement le projet qui m'a le plus interpellée parce qu'elle évoque beaucoup des idées clés que j'avais en tête à l'époque.
Q : Réalisez-vous vos propres coulées de bronze?
C. P. : Oui, à Concordia et à l'Atelier La Coulée. Ce dernier est un espace coopératif qui promeut les arts du métal, la soudure et la fonte de bronze. Quiconque a de l'expérience peut travailler de façon autonome avec les techniciens sur place. Sinon, on y propose de nombreux cours et ateliers.
Q : Y a-t-il des artistes dont le travail vous inspire?
C. P. : Broken City Labs est une grande source d'inspiration pour ma pratique. Il s'agissait d'un collectif basé à Windsor, dont le travail mettait souvent à contribution la collectivité et visait un changement civique. Joshua Schwebel, Anne Lewis, Shaunna Jansen et le collectif Points de Vue me viennent également à l'esprit!
Q : Vos œuvres s'articulent-elles autour d'un message conducteur ou irradient-elles plutôt d'une idée centrale?
C. P. : Mon travail est souvent adapté au milieu et reflète les changements propres aux environnements urbains qui m'entourent. En outre, mon processus commence souvent par la collecte d'objets qui me fascinent. Je conserve les objets pendant un certain temps et j'y réfléchis avant de les utiliser.
Quant à la référence au Monopoly, tout a commencé pendant une partie à l'occasion d'un souper entre collègues au studio, qui a pris un virage quelque peu compétitif. Vers la fin, plusieurs d'entre nous ont commencé à se sentir coupables et ont essayé de partager leur argent Monopoly avec les autres. Cette partie a été à l'origine d'une réflexion sur la nature du jeu, qui rejoignait d'autres idées que j'avais à l'époque, et m'a incitée à faire des recherches sur l'histoire du jeu. Parfois, il s'agit simplement d'être au bon souper, au bon moment!
– Transcription par Katya Kieran et Gwen Baddeley