Cassia Powell, cheated, 2024
Cassia Powell, cheated, 2024

Exposition de Cassia Powell : In between you and me

L’exposition individuelle In between you and me présente des œuvres choisies avec soin de Cassia Powell, artiste en émergence de Vancouver.

L'ensemble d'œuvres aborde des thèmes appartenant à ce que Gavin Butt décrit comme « l'activité sociale qui engendre et maintient les filiations au sein de la communauté artistique », c'est-à-dire le commérage. À l'aide de peintures à l'huile et de sculptures souples constituées de tissu, In between you and me explore l'intimité, la vulnérabilité, l’envie de raconter des histoires et la construction d'un monde. Au moyen d’une approche visuelle queer ancrée dans l'émotion et le quotidien, elle présente le commérage comme une forme d'histoire de l'art non conventionnelle ou une caractéristique inéluctable de la vie artistique métropolitaine.

Biographie

Artiste en émergence dans la sphère contemporaine et spécialiste de la conversation, Cassia Powell (iel) vit sur le territoire non cédé du peuple Lekwungen, également connu sous le nom de Victoria, en Colombie-Britannique. Cassia est titulaire d'un baccalauréat spécialisé en arts visuels de l'Université de Victoria. Dans sa pratique artistique personnelle et ses activités de conservation, l'artiste combine la sculpture souple et la peinture à l'huile pour explorer le confort et l'attention comme des actes radicaux de résistance sociale.

Cassia a cofondé le Dirty Dishes Collective, un projet de conservation qui se veut un lieu de discours critique, d'expérimentation créative et de relations avec la collectivité afin de soutenir un éventail d'artistes en émergence et de spécialistes de la culture.

Cassia a exposé ses œuvres à Open Space (Victoria), à ED Video Guelph (Guelph) et a fait partie des artistes en lice pour le prix BMO 1st Art. Récemment, sa deuxième exposition individuelle intitulée « Playthings » a été présentée à la boutique-galerie 100% Silk (Toronto).

Cassia Powell remercie le Conseil des arts du Canada pour son soutien. www.conseildesarts.ca

Artiste en vedette :
Cassia Powell


 

Entretien avec Cassia Powell

par Olivia MacIntosh et Tristan Boisvert-Larouche

O. M. : Cette exposition explore l'histoire de l'art queer sous l'angle du potinage. Pourquoi était-il important pour vous de présenter cette perspective, d'autant plus que l'on pourrait affirmer que le potinage a eu un impact négatif sur les jeunes queers (par exemple, les rumeurs sur leur sexualité)?

C. P. : C'est une bonne question. Je me la suis posée assez souvent en créant cette exposition. Il n'est pas tant question de commérage sur les queers que de commérage entre queers. Il est intéressant de noter qu'il a fallu attendre le montage de l'exposition pour que les gens commencent à se demander si le commérage n'était pas, en fait, une très mauvaise chose et s'il fallait en parler. J'ai fait quelques recherches sur le sujet pour essayer de comprendre pourquoi le phénomène a si mauvaise réputation. Du point de vue du féminisme, le commérage était souvent méprisé parce qu'il trouvait son origine dans les discussions entre femmes. Ce type de relations compliquées entre les femmes était associé aux rumeurs et à des intentions malveillantes. On considérait le commérage comme sournois, mais ce n'était pas nécessairement le cas. Il s'apparentait souvent au simple échange d'histoires ou de recettes. Le commérage était aussi une façon de veiller les unes sur les autres.

L'idée m'est venue d'un livre intitulé In Between You and Me. L'ensemble de l'exposition s'en inspire fortement, surtout le titre. L'auteur, Gavin Butt, parle beaucoup des membres de la communauté queer de New York dans les années 1950 et 1960 et de la façon de chercher le soutien d'autres artistes gais; il fallait savoir avec qui travailler et à qui faire confiance en sortant du placard, mais rien de tout cela n'a vraiment été documenté de manière conventionnelle. Il leur a fallu compter sur ce type de bouche à oreille. C'était en quelque sorte un moyen de se protéger dans ce milieu.

On ne peut pas vraiment avoir de conversation sur le commérage sans en aborder les aspects positifs et négatifs, et parler des horribles conséquences qu'il a eues sur les communautés queers. C'est une histoire vraiment intéressante à étudier. Je pense que le commérage a du bon et du mauvais. Je ne vois pas l'exposition comme une célébration du commérage, mais plutôt comme un commentaire sur le sujet. Une grande partie des œuvres reflètent cette dichotomie entre le confort et l'inconfort. Vous le verrez dans de nombreuses représentations de personnages.

T.B-L. : J'ai remarqué que vos premières œuvres étaient davantage axées sur la culture en ligne. Qu'est-ce qui a initialement suscité l'idée d'explorer une conception plus personnelle du « commérage en tant que forme d'histoire de l'art non conventionnelle »?

C.P. : Le fait que vous ayez remarqué cette évolution me réjouit, parce que l'idée m'accompagne encore. Elle marque une rupture par rapport à l'Internet, au fait que j'ai grandi à l'ère du numérique. J'ai travaillé sur cette autre exposition en tant que responsable de la conservation avec une personne qui travaille expressément avec des archives. Cela m'a permis de m'éloigner d'un thème sur lequel j'entretenais une fixation excessive. J'ai souhaité approfondir le fonctionnement profond des relations et des sentiments compliqués, moches, mais réconfortants. Toutefois, j'ai voulu l'appliquer à un autre thème, soit les archives et le commérage dans ce cas. J'ai donc eu quelques influences externes à cet égard.

O.M. : Quelle est la signification des playthings™, et quel est leur lien avec l'histoire de l'art et le commérage queers?

C.P. : Connaissez-vous la théorie de la fiction-panier d'Ursula K. Le Guin? Je l'ai découverte récemment. Le Guin est une auteure de science-fiction féministe de premier plan, mais elle a également écrit cette anthologie. Dans un essai, elle présente la théorie de la fiction-panier : les gens supposent souvent que les premiers outils utilisés par l'espèce humaine étaient des marteaux ou des armes, mais elle affirme qu'il s'agissait en fait d'un sac porté par les femmes pour transporter de la nourriture, des baies ou même leurs enfants. C'est moins intéressant, donc on n'en parle pas autant. Elle explique ensuite que ce récipient était également un moyen de conserver les souvenirs. De nombreuses personnes ont transposé cette idée à d'autres contextes. C'est également une grande inspiration pour moi. Lorsque j'ai commencé à concevoir ces œuvres, c'était pour une autre exposition solo que j'ai montée il y a quelques années. Je pensais à ces playthingsMC comme à des moyens de conserver des souvenirs et des fragments précieux. Ces jouets sont faits de vieux pulls de ma famille, d'oreillers, de couvertures ou de boutons faits à la main qui m'ont été donnés. J'en fais ensuite des objets d'allure ancienne et nostalgique porteurs de beaucoup d'histoires. Plus jeune, je collectionnais de manière obsessive les Webkinz. Ils avaient tous un nom et une histoire. Je pouvais leur dire des choses que je ne pouvais pas dire à d'autres personnes. C'était une façon pour moi d'apprendre à communiquer. Les playthingsMC sont accompagnés d'étiquettes qui renvoient à un site Web que j'ai créé pour expliquer l'histoire de chaque jouet, l'histoire dont il s'inspire et le tissu dont il est fait. Ils servent à conserver des souvenirs que j'ai recontextualisés pour cette exposition.

 

O. M. : J'ai remarqué que les personnages que vous peignez ressemblent à des humains, mais qu'ils ont aussi des traits fantastiques. Ce choix est-il purement stylistique ou esthétique, ou avez-vous une raison particulière de les représenter ainsi?

C.P. : Un peu des deux! C'est vraiment mon style, mais c'est aussi lié au fait que, lors de ma troisième année d'université, j'ai été pendant trois mois artiste en résidence dans le nord de l'Islande. L'endroit où j'habitais était situé juste à côté d'un musée du folklore et de la sorcellerie. J'ai fini par faire beaucoup de dessins inspirés du folklore local. C'est ainsi que j'ai commencé à explorer le monde des farfadets et des démons, ainsi que l'histoire de la région, qui est assez contemporaine. Là-bas, les gens croient encore aux histoires de farfadets. Dans cette ancienne ville de pêcheurs, les gens laissaient leurs chaussures à certains endroits ou ne laissaient pas leurs lampes allumées au-delà d'une certaine heure afin de ne pas contrarier les esprits. J'ai développé une fascination pour cette cohabitation constante entre fiction et réalité, et pour l'emprise que le folklore a toujours eu

sur la société moderne. Cette expérience a donc influencé tous les personnages de mes tableaux. Ils ne ressemblent peut-être pas à des démons, mais ils ont les sourcils froncés et la peau de couleur vive. Au fil des années et de l'évolution de mon travail, ils sont en quelque sorte devenus des représentations fantastiques du chagrin, de la dépression ou de l'euphorie. Les couleurs et les traits dramatiques du visage symbolisent l'émotion. C'est aussi très amusant de peindre des personnages comme cela.

O.M. : J'ai eu l'impression que dans certains tableaux (diptyque Slumber party et Cheated), les personnages ont l'air de souffrir ou d'être malades. Pourquoi donc?

C.P. : Je pense que ça correspond à ce que je viens de dire : les personnages sont des représentations dramatiques de certaines émotions. C'est aussi une extension de mes propres expériences, en particulier dans le diptyque Slumber Party. J'ai essayé de représenter comment on se sent comment quand on craque pendant une soirée pyjama, de même que la peur, la culpabilité et la honte qui s'y rattachent. Dans une soirée pyjama, on devrait être dans une zone de confort et c'est ce qu'on essaie de se dire. Mais malgré les nombreuses couvertures et un beau pyjama, les multiples émotions ressenties nous dépassent.

T.B-L. + O.M. : Le choix des œuvres et leur installation sont des éléments essentiels d'une exposition. Comment avez-vous décidé de les placer ainsi, sur des murs verts?

C.P. : C'est une question très amusante. J'ai pris ces décisions juste avant l'exposition. Le vert sur les murs est de teinte Gossip Green, et c'est dans la même famille que l'envie. J'ai pensé qu'occuper une bonne partie de l'espace avec cette couleur aurait une incidence sur la perception visuelle du public. Mais je ne voulais pas mettre du vert partout, car certaines œuvres ont une palette de couleurs plus douces et sont un peu plus rêveuses. On pourrait dire que j'ai séparé les œuvres en deux parties, soit le jour et la nuit. Le côté de la galerie où se trouve Comforter (la couette en forme d'étoile) est plus doux, plus délicat et plus confortable. De l'autre côté, où le vert occupe la majeure partie du champ de vision, j'ai installé les toiles plus sombres, celles qui comportent du noir, des violets profonds ou des bleus. Il y a une sorte de relation cauchemar-rêve entre les deux sections. J'ai également pensé que le vert avait du sens pour le petit coin lecture, car cet espace est différent du reste de l'exposition. Il fallait le délimiter dans l'espace.

O.M. : J'ai parlé de la signification de la couleur verte, mais d'autres couleurs ont-elles une signification particulière? Personnellement, le rose m'a frappé.

C.P. : La couleur a toujours joué un rôle important dans mes peintures. J'aime utiliser des couleurs acides, car elles rappellent des bonbons juteux et délicieux. J'ai essayé d'utiliser beaucoup de rose parce que ça me rejoignait. La plupart de ces œuvres sont basées sur des expériences personnelles et sur ma réalité. J'étais donc attirée par cette couleur charnue et dramatique, qui pouvait représenter quelque chose de vrai, mais pas tout à fait. Je crois que cette couleur s'appelait Radiant rose. Je voulais qu'elle subjugue les regards, comme si elle était bruyante et qu'il fallait la regarder. Mais c'est aussi parce qu'à mes débuts dans la peinture, je travaillais davantage avec des documents numériques. J'utilisais souvent Photoshop pour colorer mes croquis de couleurs extravagantes, que l'on ne peut pas vraiment reproduire

avec de la vraie peinture. Une grande partie est issue de la palette CMJN, soit des couleurs très vives et facilement utilisables sur le Web.

T.B-L. : Peu d'expositions comportent un coin lecture. Pourquoi avez-vous décidé d'en mettre un?

C.P. : J'y ai réfléchi beaucoup et l'idée s'est concrétisée il y a quelques années. Je m'occupe des activités de conservation et de programmation dans le collectif dont je fais partie, appelé Dirty Dishes Collective (https://www.dirtydishescollective.com/). Notre programmation compte beaucoup d'initiatives communautaires pour rassembler les gens autrement dans les espaces d'apprentissage. Depuis quelques années, nous avons une bibliothèque de zines afin de présenter et d'intégrer d'autres perspectives. Même dans le cas d'une exposition individuelle, on ne travaille pas uniquement en solo. À mon avis, les pensées, les concepts et les idées des autres méritent d'être mis en perspective. Il est très difficile, surtout dans le contexte d'une exposition où l'on parle de l'histoire des personnes queers dans un sens aussi large, de faire cavalier seul. C'est tout simplement logique de faire appel à d'autres personnes.

Depuis quelques années, je réfléchis davantage à l'accessibilité de l'art et à la façon dont on peut s'assurer que les gens comprennent mieux ce qu'ils voient. Si c'est la première fois que quelqu'un assiste à une exposition d'art, par où commencer? Ce coin lecture rend les choses un peu plus conviviales et offre un endroit où s'asseoir confortablement.

T.B-L. : À votre avis, quelle est la relation entre le monde universitaire et la création artistique? Comment la littérature qui explore l'identité et les liens sociaux influence-t-elle votre processus créatif?

C.P. : C'est très drôle parce que lorsque j'étudiais dans mon programme d'art, j'avais une approche anti-universitaire très forte et je défendais vraiment les formes d'art moins reconnues, comme l'art populaire. J'étais jeune et je revendiquais une idéologie radicale. Je détestais tout ce qui avait trait au patriarcat. Mais j'ai depuis appris à apprécier certains aspects plus nuancés du milieu universitaire. Tellement de points de vue existent! Pourquoi se contenter du nôtre! Il est bon d'inclure des informations provenant de l'extérieur de son réseau et de permettre à des personnes d'entrer dans une nouvelle communauté. J'ai placé un magazine canadien de littérature artistique sur l'une des étagères. Je suis obsédée par le C Magazine.magazine depuis que j'ai pris un abonnement. Je commence à remarquer de plus en plus de noms que je connais, soit des pairs et des gens qui ont dormi sur mon canapé pendant leur visite en ville. Ce n'est plus nécessaire pour moi de détester cette grande institution. Je pense plutôt à une communauté de personnes sur la même longueur d'onde. Je considère donc que ma pratique artistique est ancrée dans la communauté. Je puise souvent mes idées auprès d'autres personnes, en partageant un studio avec d'autres artistes. Je pense qu'il n'est pas vraiment possible de travail seul dans son coin.

T.B-L. : Beaucoup de vos œuvres contiennent des objets de votre famille, de vos proches ou chinés. Qu'est-ce que ça signifie pour vous d'utiliser l'objet d'une autre personne dans vos œuvres d'art? Comment décidez-vous qu'un tel objet ira avec telle oeuvre?

C. P. : C'est une excellente question. Ce n'est pas uniquement une question d'intuition ou une décision subconsciente. Beaucoup de personnes de mon entourage savent qui je suis, ce que je fais et ce que j'aime. Elles me donnent souvent des choses en sachant que ça va me plaire d'une manière ou d'une autre.

Je pense que la première fois que j'ai pris un objet de quelqu'un et que je l'ai intégré dans une œuvre, c'était quand j'étais en visite chez mes parents dans le cadre de la vente de ma maison d'enfance. Nous avons fouillé dans un tas de boîtes, et je me sentais si nostalgique et si triste. Mes parents m'ont donné une énorme couette jaune, qui est devenue plus tard la couette en forme d'étoile dans mon exposition. Ma mère m'avait dit : « Je ne sais pas si tu vas l'aimer, elle se détériore peu à peu. Mais cette couette est dans notre famille depuis si longtemps! Tu pourrais la découper ». C'est peut-être un « moment d'artiste égoïste », mais je pensais juste aux couleurs magnifiques et à l'attrait provoqué par ce tissu qui se défaisait. Je voulais conserver le tissu tel quel, car il était chargé d'histoire. Cette couette a été transmise de génération en génération et c'était presque un défi de l'utiliser. Il s'agissait donc d'une combinaison de choses sur le plan visuel : l'aspect du tissu, la portée de l'histoire derrière et la façon dont je pouvais l'associer à mes peintures. Les histoires qui viennent avec les objets sont essentielles, car elles expriment la façon dont nous interagissons avec le monde : c'est un mélange d'histoires et d'intuition.

T.B-L. : Votre exposition actuelle combine des œuvres nouvelles et d'autres qui ont figuré dans certaines de vos expositions précédentes, comme la couette ou vos playthings™, mais sous l'angle du commérage. À quel point est-ce important pour vous de réutiliser vos oeuvres antérieures dans une nouvelle perspective?

C.P. : C'est très important. D'un point de vue purement pratique, je n'avais pas réalisé la taille de l'espace d'exposition lorsque j'ai envoyé ma candidature. De plus, je savais que je n'allais pas pouvoir créer 15 nouvelles œuvres, mais plutôt quatre ou cinq. Je peux dire tout ce que je veux sur les œuvres que je crée, mais la façon dont elles sont présentées peut complètement réécrire l'histoire derrière chacune d'elles. Je crois que c'est une bonne chose de prendre un pas de recul pour voir comment les autres voient mes œuvres. Comme la plupart de ces œuvres sont basées sur mes intérêts personnels, qui n'ont pas beaucoup changé au cours des dernières années, il a été assez facile de les rassembler. Je pense que ça permet d'accroître profondément la portée de chaque œuvre et qu'on y rattache ainsi de nouvelles histoires. Ça me fait vraiment plaisir! En plus de donner un peu plus de valeur à l'œuvre, ça lui permet d'exister au-delà des limites du contexte d'origine.

Dernière modification : 5 novembre 2024