Bahar Taheri : Oneness
Bahar Taheri aborde des enjeux contemporains par la peinture, la vidéo et des installations mixtes. Dans sa pratique, elle se penche aussi sur les questions qui touchent le genre, l'identité, la mémoire collective et les événements historiques, autant d'éléments qui façonnent le climat sociopolitique.
Depuis peu, son travail passe subtilement de la figuration à l'abstraction géométrique : elle déconstruit des images de bâtiments, dont elle plie et déplie les éléments jusqu'à dissoudre les conceptions binaires, les absolus et les hiérarchies. Elle en reconstruit ainsi une représentation en rupture avec la réalité.
Son projet Oneness dépeint un univers utopique au croisement de plusieurs pays, cultures et systèmes de croyance. Elle y présente des structures dénuées de conceptions binaires, d'absolus et de hiérarchies, manifestant l'unité qui subsiste derrière les différences et les divisions, à l'opposé de ce que représentent les parlements.
Biographie
Bahar Taheri est une artiste en arts visuels irano-canadienne établie à Montréal. Née à Téhéran en 1980, elle a obtenu en 2009 une maîtrise en peinture de l’Université Soore à Téhéran. Mme Taheri a participé à des expositions individuelles et collectives en Iran, au Canada et en Europe, où elle a également participé à des résidences. Elle a reçu des bourses du Conseil des arts et des lettres du Québec, de l’organisme Montréal, arts interculturels et du Conseil des arts de Montréal. Ses œuvres font partie de la collection du Musée des beaux-arts de Montréal et de plusieurs collections privées. En 2019, le Musée des beaux-arts de Montréal a sélectionné une œuvre de Mme Taheri à l’occasion du 20e anniversaire du programme Le Musée en partage.
ENTRETIEN AVEC BAHAR TAHERI
Par Katya Kieran
KK : Parlez-moi du sujet de votre exposition. Que signifie son titre?
BT : Mon exposition Oneness est basée sur des fragments d’images qui symbolisent les parlements de huit pays (Chine, Russie, Allemagne, Grande-Bretagne, France, États-Unis, Canada et Iran) réunis pour former une seule structure. L’exposition unifie visuellement différents lieux et pays à travers les parlements qui les représentent.
KK : Comment avez-vous décidé de la disposition des œuvres dans la galerie d’art?
BT : Rhonda et moi avons décidé ensemble de la disposition des œuvres. Je savais dès le départ que je voulais présenter ensemble mes deux œuvres numériques, et donc bien souvent, le choix se faisait en fonction du médium utilisé. Par ailleurs, il fallait tenir compte de l’aspect technique. L’œuvre vidéo et les deux tondos ont été placés dans la pièce adjacente parce qu’ils nécessitent un environnement le plus sombre possible. Compte tenu du lien visuel et conceptuel entre ces œuvres, les choix se sont faits principalement en fonction de considérations esthétiques et techniques.
KK : Quel est le rôle de la couleur dans vos œuvres et dans le message que vous voulez communiquer?
BT : Pour mes techniques mixtes sur toile, j’ai choisi un fond noir qui offre un bon contraste avec la lumière. Dans mes toiles, le pourpre est la couleur du pouvoir et de la royauté, et cette couleur contraste bien avec le noir et l’argent. Dans l’une de mes impressions numériques, le rouge qui accentue l’image du parlement iranien représente le sang et la violence. J’ai choisi cette couleur pour évoquer les personnes qui sont mortes simplement pour avoir exprimé leurs idées.
KK : Comment planifiez-vous vos œuvres abstraites et vos arrangements? Pouvez-vous nous parler de votre processus créatif?
BT : Mes deux impressions numériques sont composées de dessins au trait, superposés. Pour mes toiles, j’ai utilisé des sections d’images des divers parlements, ce qui donne un effet de fragmentation. C’est comme faire une construction en blocs Lego : on déconstruit avant d’assembler de nouvelles structures. Quand on regarde le résultat, on peut reconnaître certaines parties d’un bâtiment, mais la nouvelle structure n’est pas reconnaissable. Les allusions à l’architecture néoclassique, un trait commun des parlements, unifient les divers fragments.
KK : Comment avez-vous procédé pour créer les œuvres circulaires en techniques mixtes?
BT : Ces deux œuvres sont des sérigraphies, mais l’une d’elles est sortie décentrée. J’ai décidé de la retravailler en peignant à la main à l’acrylique, ce qui a donné un bon résultat. Dans les deux cas, j’ai utilisé une toile brute confectionnée sur mesure pour que l’espace derrière puisse accueillir les lumières à DEL. Au départ, j’ai percé des trous dans les toiles uniquement là où les lignes se croisent, en guise de métaphore des croyances communes représentées par les structures. Par contre, dans le cas de l’œuvre décentrée, j’ai décidé d’aller plus loin et d’ajouter des trous le long des lignes pour laisser passer plus de lumière, car j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose. Ces deux œuvres sont donc semblables, mais aussi légèrement différentes. Idéalement, elles devraient être exposées dans une pièce très peu éclairée. Dans l’obscurité totale, les lignes disparaissent, mais s’il y a trop de lumière naturelle, les lumières à DEL ne scintillent pas assez.
KK : Quelle est la signification de la musique que vous avez choisie? D’où vient-elle?
BT : Pour le choix de la musique, l’idée m’est venue pendant que je travaillais sur l’œuvre vidéo. J’ai travaillé avec le musicien et compositeur Dominic Marion, à qui j’ai suggéré d’utiliser la stratégie de déconstruction et de fragmentation que j’ai employée dans mes œuvres. Dominic a utilisé les hymnes nationaux de huit pays, entrelaçant les segments joués avec divers instruments, principalement la guitare électrique. Il a aussi eu l’idée d’utiliser l’hymne iranien non officiel d’avant la révolution plutôt que l’hymne actuel. Comme dans mes toiles, il est possible de reconnaître certaines notes et mélodies, mais dans l’ensemble, la composition semble presque abstraite, et le résultat est méconnaissable. La musique entretient donc un lien conceptuel avec les autres œuvres de l’exposition.
KK : Préférez-vous le numérique, l’acrylique ou les techniques mixtes? Selon vous, quel est l’apport de ces divers médiums dans votre œuvre?
BT : Chaque médium permet d’exprimer un aspect distinct de mes idées. C’est la première fois que j’expose des impressions numériques, ce qui est intéressant parce que j’utilise généralement ce médium uniquement comme un outil préparatoire. Mon principal médium est la peinture; je le connais très bien et je l’aime profondément. Sur le plan conceptuel, c’était très intéressant de travailler avec la vidéo, mais le processus a été très long. L’œuvre vidéo a été créée pendant la pandémie, période pendant laquelle les communications étaient très difficiles. Nous ne pouvions pas nous rencontrer, et il était frustrant pour tout le monde de ne communiquer que par Internet. Par ailleurs, mes œuvres préférées de cette exposition sont les tondos. Leur création a exigé beaucoup de temps et a coûté cher, mais ces œuvres sont fortes sur les plans esthétique, technique et conceptuel.